mardi 27 septembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 1 : Bienvenue sur l'estran

Par delà les dunes et les falaises, dans la partie inférieure du littoral, il est une zone du rivage, tantôt submergée, tantôt à découvert, qui passe du monde de l'océan à celui de la terre ferme au gré des marées. Sans cesse ballottés entre le milieu aquatique et le milieu aérien, ses habitants doivent résister aux vagues, aux écarts de température et à la déshydratation pour survivre sur ce territoire hostile que les Normands appellent l'estran.
C'est à la découverte de l'estran que nous allons joyeusement nous lancer pendant un ou deux mois, zone dont le grand avantage est de nous donner un aperçu de la faune et de la flore sous-marine sans nous faire mettre la tête sous l'eau, à travers, de façon parfois surprenante, par les déchets sous-marins qu'elle stocke provisoirement, les fameuses laisses de mer (comme l'ophiure de la dernière fois), et, bien sûr, directement par ses habitants.


Une plage très sableuse : la Mine d'or à marée basse, à Pénestin (56)

Ces derniers ont sur la plupart des plages le choix entre vivre dans le sable et vivre dans les rochers. Ci-dessus, une plage entièrement recouverte de sable. A la surface, on ne voit pas grand-chose, et pour cause, la plupart des animaux présents vivent enfouis dans le sable pour prévenir la dessiccation, s'abriter des goélands et filtrer leur nourriture. On trouve notamment un grand nombre d'annélides (néréis, arénicoles, spirographes...), de nombreux bivalves et une purée verte constituée d'acoeles de l'espèce Symsagittifera roscoffensis, minuscules vers non-segmentés qui abritent à l'intérieur de leur corps transparents les algues dont ils se nourrissent (l'indice visible à l'arrière-plan de la photo-mystère).



Une plage très rocheuse : la Pointe du Bile à marée basse, à Pénestin (56)

Nous nous attarderons surtout sur les plages les plus rocheuses, plus diversifiées. De nombreux animaux et plantes vivent fixés à la pierre, le plus souvent protégés des prédateurs, du soleil et des intempéries par une coquille comme les moules ou les huîtres, quand ce ne sont pas les algues brunes qui ont totalement recouvert l'espace. Des mares se forment à marée basse et permettent de plus d'abriter des animaux qui ne survivraient pas longtemps hors de l'eau : crevettes, poissons, limaces de mer, etc.


  Pénestin sur la France (Carte des Editions Atlas)

Mais avant de poursuivre, permettez-moi de vous présenter brièvement la commune où toutes les photos qu'ils vous sera donné de voir ont été prises : Pénestin, dans le Morbihan.


Pénestin et ses plages (Carte de l'office de Tourisme de Pénestin)

Situé juste sous l'estuaire de la Vilaine, c'est le village le plus méridional de Bretagne, ce qui lui vaut une météo digne du bassin d'Arcachon tout en conservant une gastronomie typiquement bretonne basée sur la crêpe, la moule et le cidre.


La plage de la Mine d'or de Pénestin, et la falaise d'argile du même nom. Haute de 15 mètres, elle était autrefois réellement exploitée pour son or, mais, faute de rendement, les derniers mineurs l'ont abandonné à l'aube de la Première Guerre mondiale.

Mais le principal intérêt de Pénestin ne réside pas dans ses crêperies ou ses bistrots. A vrai dire, il s'agit de ses vingt-cinq kilomètres de côte, depuis la Baie de Pont-Mahé jusqu'au port de Tréhiguier, qui alternent plages de sable et de rochers, falaises vertigineuses et vasières salicorneuses pour le plus grand plaisir du naturaliste, et m'a permis de m'approcher de près, très près, du peuple de l'estran que vous aller maintenant découvrir.
La semaine prochaine : Les Chroniques de l'estran, épisode 2 : Laisses de mer...

Et si vous voulez en savoir plus sur Pénestin, consulter le site de l'office de tourisme

mardi 13 septembre 2011

Réponse : Ophiure

Et non, ce n'était pas le bout d'une queue de couleuvre comme cela a été suggéré, mais bien l'extrémité d'un animal marin : le bras d'une ophiure commune (Ophiura ophiura), recouvert de plaques calcaires évoquant les écailles d'un serpent. Cette particularité lui a d'ailleurs valu son nom savant d'Ophiura, qui vient du grec ophis, "serpent", et oura, "queue", et signifie donc "Queue de serpent".


Ophiure commune échouée, à marée basse (Pénestin, Morbihan)

L'étrange animal appartient au phylum non moins étrange des Echinodermes (du grec echinos, "hérisson", et derma, "peau", et qui signifie donc "Peau de hérisson"). Ce nom est une allusion aux piquants des Oursins, qui appartiennent à ce groupe exclusivement marin au même titre que les Crinoïdes ou Lys de mer, les Astéries ou Étoiles de mer, les Holothuries ou Concombres de mer et la classe qui nous intéresse ici : les Ophiures.


Une symétrie pour le moins inhabituelle...

A quoi reconnaît-on un échinoderme ? La plus frappante de leurs caractéristique est leur symétrie : de bilatérale pour les larves, c'est-à-dire avec un côté gauche et un côté droit, elle devient pentamère lorsque ces dernières se métamorphosent en adultes : le corps rayonne depuis son centre en généralement cinq parties identiques.

 

Face aborale                                      Face orale

Chez les Ophiures, on peut différencier les bras d'un disque central aplati qui abrite entre autres le système digestif et les gonades (organes sexuels). Sur la face aborale (le dessus), ces organes sont protégés par des plaques particulièrement larges : les plaques primaires, au centre, et les boucliers radiaires à la base des bras. La face orale (le dessous), plus tendre, s'ouvre sur la bouche. Entourée de cinq mâchoires, elle est à la fois l'entrée et la sortie des cadavres et des petits animaux dont l'Ophiure commune se nourrit, étant dépourvue d'anus.


Ophiure dans une flaque ; les piquants des bras ne s'ouvrent que sous l'eau.

Comme chez la plupart des Ophiures, cinq bras hérissés de minuscules piquants partent de ce disque central. Les plaques calcaires qui les composent sont appelées vertèbres, par analogie avec les queues de serpents qu'ils évoquent. Peu souples, ces bras cassent assez facilement en cas d'agression animale mais peuvent être  régénérés par la suite.

 

Oursin vert (Psammechinus miliaris)           Etoile de mer commune (Asterias rubens)

D'autres échinodermes peuvent se rencontrer échoués sur la plage à marée basse, les plus courants demeurant l'Oursin vert (Psammechinus miliaris) et l'Etoile de mer commune (Asterias rubens), tout comme d'ailleurs une quantité impressionante d'animaux marins, jusqu'ici peu représentés sur ce blog. Pour leur rendre justice, ce petit jeu inaugure en réalité une série d'articles à paraître prochaine consacrée aux laisses de mer et à quelques dignes représentants de la faune de l'estran : Les Chroniques de l'estran...

Alors ne ratez pas, dès la semaine prochaine l'épisode 1 : Les Chroniques de l'estran, Episode 1 : Bienvenue sur l'estran...

jeudi 1 septembre 2011

Troublante tourbière, Ces plantes qui créent des mondes

La concentration de plantes et d'animaux incroyables est ici plus élevée que nulle part ailleurs, ce qui me permet de ne pas passer une journée sans découvrir quelque chose de nouveau, d'étonnant, de merveilleux ou d'effrayant (et parfois tout à la fois). Hélas, mon séjour touche à sa fin ; en effet, mon rapetissement n'est que temporaire et prendra fin dans très peu de temps, aussi cet article est-il probablement le dernier de la série "Troublantes tourbières". Mais comme auraient dit nos voisins d'outre Manche : "Last but not least", c'est à dire à peut près "Le dernier mais pas le moindre".

Aujourd'hui, c'est une plante étonnante qui a monopolisé une bonne partie de ma journée, une plante qui, sans en avoir l'air, est la principale responsable de la création d'un habitat extrêmement particulier typique des tourbières en formation : le radeau flottant. Avant d'en dire plus, laissez moi vous présenter la plante en question :

 Autant il existe des plantes pénibles a force d'avoir des noms compliqués, autant celle-ci est sympathique de par la simplicité de son patronyme : le Trèfle d'eau (Menyanthes trifoliata). Mais sous cet aspect volontiers débonnaire se cache un formidable bâtisseur, l'architecte d'un univers incroyable. Explications.

Sa particularité s'exprime lorsqu'il pousse au bord de l'eau, sur la limite de la tourbière. Voyez ses feuilles, regardez plus bas, encore plus bas, vous voyez une tige tout ce qu'il y a de banal, vous passez sous le niveau du sol (ou plutôt le niveau de la mousse dans le cas de la tourbière) et là vous tombez sur une particularité qui fait de cette plante ce qu'elle est : son rhizome. Un rhizome est une sorte de racine qui pousse toujours plus loin pour donner de nouveau pieds tout au long de son parcours. Or ils sont nombreux ces rhizomes, et chacun essaye de gagner un peu d'espace à son compte la ou il peut en trouver, c'est à dire en mordant sur l'étendue liquide. Ils s'avancent, de plus en plus nombreux, toujours un peu plus loin que les précédents, s’entremêlant avec leurs voisins, formant des sacs de nœuds indescriptibles qui finissent par former un radeau de racines mêlées qui avance, avance petit à petit sur le plan d'eau. Ce radeau, simplement posé sur cet entrelacs racinaire, se peuple peu à peu d'une foule de plantes et d'animaux, formant un écosystème étonnant, une presqu'île végétale flottant au dessus d'un plan d'eau.

 Dernier aperçu du ciel avant de pénétrer dans l'univers du radeau flottant.

 Je ne vais pas vous parler de tout ce que j'ai pu voir sur ces radeaux, une encyclopédie n'y suffirait pas. Mais y a quand même quelque chose que je voudrais vous montrer. Un bel exemple de la variabilité végétale.

 Hydrocotyle commun (Hydrocotyle vulgaris), aussi appelé écuelle d'eau. Impossible à confondre, cette plante affectionne les zones humides (pas seulement les tourbières) ou elle forme parfois des tapis étonnants.
Mais le plus étonnant chez cette plante est la famille à laquelle elle appartient : les Apiacées (anciennement Ombellifères). Plus clairement, elle est de la même famille que la carotte, le céleri, le persil, le cumin ou la ciguë. Si si, je vous assure. Après tout, chaque famille compte sa part d'original, de snob.

Je fini ici mon carnet de bord. L'expérience tourbière fut une réussite mais chaque chose à une fin et il faut maintenant que je quitte ce lieu chargé de souvenir pour retrouver d'un seul coup ma taille et ma vie normale. Dommage, je m'y était presque habitué a cette vie.