jeudi 24 novembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 5 : Seiche

Mais nous n'avons pas encore parlé de l'objet le plus fameux de la laisse de mer : l'os de seiche.


Le plus gros os de seiche que j'ai jamais trouvé : 24 cm de long. Qui dit mieux ?

De forme oblongue et de couleur blanche, sa taille varie entre 1 et une trentaine de centimètres de long. Bien qu'on l'appelle "os", c'est en réalité tout ce qui reste d'une coquille ancestrale comparable à celle du Nautile.
Quoi qu'il en soit, il constitue une source de calcium abondante et facile à se procurer pour les oiseaux de mer... et de volière !


Seiche échouée (taille : 20 cm)

Beaucoup plus intéressante que l'os, la seiche elle-même est en revanche moins facile à trouver sur l'estran, généralement mise en pièces par les goélands aussitôt échouée.
Ce jour-là, j'ai eu la chance de tomber sur un spécimen complet et relativement préservé de la décomposition. On le range tout de suite dans la classe des Céphalopodes, avec son corps mou structuré par le fameux "os" et sa grosse tête aux yeux globuleux munie de dix bras armés de ventouses : huit courts et deux longs, terminés par des massues, rétractés en permanence, qui ne se déploient brusquement que pour attraper une proie, à la manière du masque d'une libellule.


Bouche de seiche

Les tentacules d'attaque ramènent alors la victime à la bouche du monstre. Entourée par les tentacules, elle abrite deux mâchoires cornées en forme de bec de perroquet, suivies de près par la radula, attribut plus classique des gastéropodes de nos jardins et de nos trottoirs.
Son nom latin, Sepia officinalis, a donné en français la couleur sépia, dont les tons marrons rappellent ceux de l'encre de seiche dilué, composé de mélanine (molécule qui nous est familière puisqu'il s'agit du pigment de notre peau). 


Deux systèmes de locomotion innovants !

Lorsqu'elle ne se déplace pas par ondulations de la frange qui borde son "os", la Seiche peut se mouvoir à l'aide de son système de propulsion à réaction : l'eau stockée dans une poche appelée cavité palléale est brutalement évacuée, par contraction musculaire, par l'entonnoir situé à l'avant de l'animal, la projetant ainsi à reculons. Ajoutons à cela que ce sous-marin de poche peut changer de couleur pour se dissimuler ou communiquer avec ses pairs, et vous admettrez qu'il n'a décidément rien à envier à nos bathyscaphes les plus sophistiqués ! Hormis peut-être la profondeur...


"Wheke", le calmar géant du MNHN

Car si son os n'était pas si fragile et pouvait supporter des pressions excédant celles que l'on rencontre à 150 mètres de profondeur, la petite Seiche serait sans doute surprise de rencontrer son lointain cousin le Calmar géant (Architeuthis sp.), un céphalopode pouvant atteindre une quinzaine de mètres de long et qui ne ferait d'elle qu'une becquée !
Encore relativement méconnu en raison de son habitat quasi-inexplorable, on peut cependant en admirer un splendide spécimen plastiné de 7,5 mètres au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, pêché au large de la Nouvelle-Zélande. La capture ou l'échouage de ces super-mollusques fait régulièrement la une des journaux depuis la seconde moitié du XIXème siècle, avec l'essor de la chasse à la baleine. Alors... à quand une carcasse pourrissante de calmar géant sur l'estran de Pénestin ?

vendredi 18 novembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 4 : Les épaves-surprises

Algues, restes d'animaux et déchets artificiels constituent la majeure partie de la laisse de mer. Mais il arrive que la marée rapporte quelques carcasses plus conséquentes, des épaves-surprises si grosses qu'elles sont visibles du haut de la falaise, et pourtant si mystérieuses qu'on est incapable de leur donner un nom avant d'être assez près pour planter une lame de couteau dedans. Mais il faut faire vite : les charognards rôdent...


Congre échoué (vu depuis la falaise)

Ici, c'est un goéland marin qui s'apprête à charcuter un superbe congre échoué. Ce gros poisson serpentiforme est particulièrement bien représenté sur l'estran de Pénestin. En voici quelques-uns, à différents stades de décomposition :


Congre frais (taille : 1,2 mètre)


Congre séché (taille : 1,2 mètre)


 Squelette de congre (taille : 1 mètre)


Portrait de congre frais

Mais cette année, la véritable surprise venait d'une épave encore plus imposante, sans doute la plus grosse de toute l'histoire de Pénestin, visible depuis la falaise dans l'article précédent :


Le dauphin de Pénestin (approximativement 1,5 mètre)

Un dauphin ! Bien mal en point, il est vrai : l'aileron et la queue ont été complètement rongés par les poissons et les goélands marins ont ouvert le ventre et les flancs à coups de bec. J'ai pu approcher le cadavre tôt dans la matinée ; quelques heures plus tard il avait disparu, emmené loin de la plage qu'il empestait par un tracteur. C'est regrettable : les oiseaux ont perdu un bon repas et moi un squelette de cétacé !



J'ai appris par la suite qu'un jeune grand dauphin (Tursiops truncatus) s'était déjà échoué à deux reprises à Pénestin en juin et avait été remis à l'eau par les pompiers. L'évènement fut relayé sur le site de Réseau-Cétacés (consulter l'article de Réseau-Cétacés). Ma charogne n'étant pas très grande et assez vieille, j'en conclu qu'il s'agit du même individu, mort en mer affaibli par ses échouages successifs.

A la semaine prochaine pour de nouvelles chroniques de l'estran !

samedi 12 novembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 3 : Laisses de mer (2/2)

On pourrait penser qu'admirer les laisses de mer, c'est aussi agréable que de ramasser des champignons. Pourtant, sur l'estran, pas question d'errer dans la pénombre d'un sous-bois humide et corrompu. Sur l'estran, c'est le nez dans les embruns et les cheveux au vent qu'on fouille le sable et les algues aux arômes iodés, préalablement déchaussé pour apprécier le contact de la vase voluptueuse - au risque de s'ouvrir le pied sur une coquille d'huître inopportune. Les sandales à la main et l'appareil photo autour du cou, poursuivons ainsi notre exploration des laisses de mer.


A gauche : oeufs de raie (Raja undulata ?)
A droite : oeuf de petite roussette

On peut tomber sur plusieurs sortes de capsules rectangulaires. Ce sont des oeufs de poissons cartilagineux.
Certaines sont noires, larges, cornues et mesurent de 5 à 15 cm : elles peuvent appartenir à huit espèces de raies et font l'objet d'un suivi par l'Association Pour l'Etude et la Conservation des Sélaciens (APECS) : le programme CapOeRa. Une plaquette d'identification est téléchargeable ici, sur le site de l'APECS.
Attention à ne pas les confondre avec cette autre capsule : plus petite (6 cm), allongée et de couleur jaunâtre, c'est l'oeuf de la Petite Roussette (Scyliorhinus canicula).


Petite Roussette

Ce petit requin de 80 cm vit sur les fonds sableux où sa robe beige tachetée de noir lui permet de se dissimuler pour mieux surprendre ses proies (mollusques et crustacés). On l'appelle aussi "chat de mer", sans doute à cause de ses grands yeux ovales et noirs.
On peut également trouver des oeufs de Grande Roussette (Scyliorhinus stellaris), une espèce proche mais deux fois plus grande (1,5 mètre) et dont les capsules, bien que très ressemblantes, atteignent 10 cm de long.


Laminaire à bulbe

Certaines algues brunes, vivant généralement au delà de l'estran, se démarquent des autres une fois échouées par leurs formes inhabituelles et leur taille impressionnante. Ces Laminaires sont constituées de trois parties : un crampon qui les maintient fixées aux rocher, le stipe, une "tige" dure comme du cuir, et enfin la fronde.
La plus grande est la Laminaire à bulbe (Saccorhiza polyschides) : son crampon est surmonté d'un "bulbe" imposant, granuleux et informe, son stipe est aplati et orné d'ondulations appelées falbalas et sa fronde découpée en forme de lanières. Le tout peut atteindre plusieurs mètres de long.


Baudrier de Neptune

Voilà une autre laminaire : la Laminaire sucrée (Saccharina latissima) ou Baudrier de Neptune. Plus gracile que la précédente, elle se reconnaît à sa fronde en forme de ceinture ondulée et texturée en forme de queue de crocodile. Le stipe est rond et les crampons n'ont pas de bulbe.


L'épave mystérieuse...

Mais l'océan a encore mieux à offrir que des oeufs de requin et des algues difformes : au pied de la falaise, les vagues ont déposé une bien curieuse épave, rapidement abordée par une bande de goélands marins affamés. Qu'est-ce ?

Réponse dans le prochain épisode !

samedi 5 novembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 2 : Laisses de mer (1/2)

Au fur et à mesure que la marée baisse, l'estran se couvre d'amas d'algues, de plumes de mouettes et de bois flotté rejetés par les flots. Mais au milieu de la puanteur et des mouches, on trouve quelques déchets plus intéressants qui font de la plage une véritable vitrine de la faune et de la flore sous-marines.


Plage jonchée de laisses de mer

Toutes ces ordures sont appelées "laisses de mer". A peine échouées, elles sont assaillies par des légions de décomposeurs divers et variés (diptères, coléoptères voire crabes audacieux) auxquels le naturaliste devra disputer sa trouvaille s'il compte l'examiner de près, activité recommandable qui vous permettra de vous familiariser avec les laisses de mer les plus courantes que je vais maintenant vous présenter.


Rhizostoma octopus échouée sur le "dos"

Pour inaugurer ce festival de monstruosité, voici la méduse la plus commune de Bretagne : Rhizostoma octopus. Pouvant atteindre un mètre de diamètre, elle est heureusement inoffensive pour l'Homme puisqu'elle ne mange que du plancton et ne possède pas de tentacules venimeux à proprement parler, mais seulement huit bras qui lui ont valu son nom scientifique (octopus => "huit pieds"). Ces derniers entourent la bouche placée sous l'ombrelle, énorme, qui renferme le système digestif et les organes génitaux.


Rhizostoma octopus échouée dans le bon sens. En Méditerranée, elle est remplacée par une espèce à peu près identique : Rhizostoma pulmo.

Sur son pourtour, celle-ci est dentelée et ornée d'un joli petit liseré bleu, tentative dérisoire de faire oublier l'odeur abjecte qui se dégage du cadavre, lequel semble d'ailleurs si immonde qu'aucun charognard ne se risque à le consommer. Heureusement, les rayons ardents du soleil breton auront tôt fait de faire fondre cette abomination, qui s'en retournera à la mer sous forme de coulée laiteuse dégoulinant le long de la plage.


Ponte de buccin

Moins impressionnante mais plus énigmatique, voilà une laisse de mer courante surnommée "raisin de mer" ou encore "savonnette de mer". Cet amas ressemblant à un bloc de polystyrène altéré par l'eau de mer, qui peut atteindre la taille d'un ballon de foot, est en réalité composé de centaines d'oeufs de buccin (Buccinum undatum), un gros gastéropode carnivore.

Buccin (6 cm de haut)

Eponges dessécuées et tests d'oursin (Psammechinus miliaris)

On peut aussi ramasser quelques spécimens plus discrets, comme ces petites éponges silicieuses (une identification assez hasardeuse me fait pencher pour le genre Haliclona), animaux rudimentaires qui s'alimentent en filtrant l'eau à travers les pores de leur corps. Aucun véritable organe ; des cellules flagellées appelées choanocytes tapissent les parois internes de l'organisme et assurent la circulation de l'eau.
Ou encore ces trois tests d'oursin : c'est ainsi que l'on appelle le squelette externe de ces charmants échinodermes épineux une fois vidé de son hôte.

A suivre...