mardi 31 août 2010

Les Dents de la mare, épisode 7 : Le Gang des larves masquées

Après avoir examiné la "pince" du Naucore et exploré le fourreau du Porte-bois, il s'agit maintenant de partir à la rencontre d'un insecte assez bien représenté sur le blog à l'état adulte (voir les articles estivaux de 2008) mais jusque-là injustement absent à l'état larvaire, car, tandis que les chasses anisoptère et zygoptère s'entredéchirent dans les cieux, leur progéniture met un point d'honneur à perpétuer la tradition ancestrale et fait régner la terreur dans le royaume sous-maresque des Libellules.
Les Odonates, ou Libellules, forment un ordre d'insectes à la fois très ancien et prospère. Apparu au Carbonifère, il y a environ 300 millions d'années, il compte aujourd'hui près de 6 000 espèces qui se partagent les zones humides du monde entier, principalement sous les tropiques, et sont réparties en deux sous-ordres : les Zygoptères ou Demoiselles, et les Anisoptères ou Grandes Libellules. Laissons de côté les différences à l'âge adulte et étudions plutôt celles à l'état larvaire.


Exuvie de demoiselle (ici Calopteryx).

Les larves de Demoiselles sont assez sveltes et généralement peu poilues. On remarque les trois filaments branchiaux disposés au bout de l'abdomen, dont la forme varie selon les espèces. Ils peuvent aussi être utilisés comme une nageoire caudale.


Larve d'aeschne.

Les larves d'Anisoptères sont plus grosses et plus trapues que les précédentes. Leurs branchies sont situés dans une cavité anale, qui a une autre importance chez certaines familles, mais nous y reviendrons...


Larve de Libellula depressa qui a des comptes à régler avec un têtard.

L'aspect général des larves des différentes familles d'Anisoptères est en outre très variable.
Les Libellulidés, les Orthétrums et les Sympétrums ont des larves au corps épais et rabelé. Elles nagent rarement mais ont pour habitude de marcher au fond de l'eau. L'espèce Libellula depressa (ci-dessus) a notament la réputation de se couvrir de boue et de débris végétaux  pour se camoufler.
Les Cordulegaster sont plus grands et plus alongés, mais ont eux aussi un grosse tête triangulaire et une forte pilosité.


Larve d'Anax empereur.

Les larves des Gomphes présentent un aspect rammassé, avec de petites pattes et un énorme abdomen en forme d'obus.
Enfin, les larves d'Aeschnes, dont le meilleur exemple est l'Anax empereur (Anax imperator, savant mélange de grec et de latin ne signifiant rien de moins que "le Prince empereur" ! Avec un nom pareil, inutile de s'interroger : c'est la plus grosse libellule de France) ci-dessus, sont entièrement glabres et ont une forme de quenouille. Ne se contentant pas de ramper au sol comme ses cousines, la cavité anale des branchies est chez cette famille utilisée comme un... moteur à réaction. L'eau qui la remplie, peut être, en cas de danger (comme un dytique ou une punaise d'eau), violemment expulsée par le rectum d'une contraction de l'abdomen, propulsant ainsi le prince à grande vitesse à travers son royaume aquatique.


Masque de demoiselle, tête à l'envers.

Après cette sympathique galerie de portraits, il est temps d'entrer dans le vif du sujet, c'est-à-dire la prédation.
Toutes les larves, de toutes les familles, procèdent quasiment de la même façon pour capturer et ingérer une proie, dont la taille varie, selon les espèces, de celle d'un ver de vase pour les Demoiselles à celle d'un petit triton pour l'Anax empereur. La larve se dissimule généralement dans les végétaux aquatiques ou dans la vase, à l'affût. Quand survient la proie, la larve déploie son arme mortelle, le fameux "masque" : dernière vision cauchemardesque de votre vie de vermisseau, la lèvre inférieure du monstre, le labium, qui se détend, et, en une fraction de seconde, vous harponne avec ses crochets, vous déchire les chairs, avant de vous amener à la porté des mandibules qui se chargeront de votre mise en pièce avant de vous faire ingérer et que vos molécules ne soient assimilées par la larve.


Emergence ratée d'aeschne : l'insecte est resé coincé dans sa mue et est mort d'épuisement.

Heureusement pour les vermisseaux, la vie larvaire a une fin. Après la ponte, les mues successives s'enchaînent au fil de la croissance de la larve, pendant quelques années pour les plus grosses, et finalement, un beau jour de printemps, la larve sort de l'eau, s'agrippe à la tige d'un jonc et se fige. Un magnifique imago en sortira et s'envolera vers son destin d'adulte, après s'être défroissé les ailes, laissant derrière lui l'enveloppe sèche et vide de son ancien corps de mini-submersible, l'exuvie, ultime témoignage de son passé de seigneur aquatique.

Les Dents de la mare c'est terminé pour cet été. A bientôt pour une prochaine saison !

mercredi 11 août 2010

Les Dents de la mare, épisode 6 : Les Dholes

Dans les nouvelles de Démons et merveilles, Lovecraft nous apprend que le pays du rêve est hanté de "Dholes blanchâtres et visqueux" qui se cachent dans "les tunnels primitifs qui criblent la planète" ; plus loin le lecteur découvrira que les Dholes ont aussi un féroce appétit, puisqu'ils n'hésitent pas à sortir de leur trou pour gober les rêveurs imprudents.
A cette description horrifique semble correspondre un autre être, bien terrien celui-ci, mais tout aussi monstrueux, l'inattendu Porte-bois.
Les Porte-bois, parfois utilisés comme appâts pour la pêche à la ligne, sont des larves d'un ordre d'insectes prospère (entre 350 et 400 espèce en Europe occidentale) appelé Phryganes ou Trichoptères. Les adultes ressemblent un peu, au premier coup d'oeil, à des papillons de nuit bizarres, mais leurs larves sont bien plus remarquables.


Des porte-bois aux étuis en gravillons, observés (pour l'anecdote) dans un petit ruisseau du lointain Cantal appelé la Sansoire.

En effet, la plupart des espèces n'ont à leur éclosion aucune sorte de carapace pour protéger leur corps mou et blanchâtre des rigueurs du milieu ambiant (une mare ou un ruisseau). Pour palier cette fâcheuse carence, elles ont recours à une astuce innovante parmi les différentes larves aquatiques qui consiste à s'abriter dans une gaine artificielle appelée fourreau, que le jeune insecte assemble avec sa soie à partir de tout ce qu'il peut trouver au fond de son trou d'eau, c'est-à-dire des graviers aux feuilles mortes en passant par les indémodables bouts de brindille. C'est ce fourreau qui a donné à de nombreuses larves de phryganes le nom judicieux de Porte-bois. L'abri obtenu doit comporter deux trous :
  • Un premier, à l'avant, par lequel la larve peut sortir sa tête et ses pattes pour ramper au fond de l'eau.
  • Et un second, à l'arrière, à travers lequel elle expulse ses déchets naturels.
La présence de deux orifices est aussi une condition sine qua non pour que l'eau circule dans la gaine protectrice, permettant aux branchies de faire leur travail.



Une fois le charmant invertébré sorti de son fourreau, la comparaison avec un Dhole prend tout son sens...

Omnivore, le Porte-bois se nourrit de tout, parfois de feuilles morte et de sève de roseau, parfois de larves plus petites, quand ce ne sont pas des insectes plus gros (éphémères, phryganes adultes ou libellules) tombés à l'eau. Chaque jour, son appétit, qui n'a rien à envier à celui des énormes Dytiques, le pousse ainsi à engloutir trois fois son propre volume de nourriture.
Passant sa vie larvaire à l'intérieur de son confortable fourreau, le jeune trichoptère se métamorphose en nymphe à l'intérieur, à l'air libre mais en sécurité, accroché à une tige de roseau, avant de l'abandonner définitivement pour rejoindre la terre ferme et achever la métamorphose ultime qui fera de lui une phrygane adulte, pour une bonne vingtaine de jours.
P.S : Un artiste (Hubert Duprat) qui n'avais rien d'autre à faire que d'embêter les petite bêtes a un jour eu l'idée saugrenue de sortir les charmantes bestioles de leur fourreau puis de les remettre dans un bocal ne contenant que des paillettes d'or et des petites pierres précieuses. Eh bien croyez le ou non, les invertébrés se mirent sans plus tarder à construire leur fourreau avec ce qu'ils avait sous la main (la patte, pardon), donnant naissance à la forme de vie la plus kitsh de l'histoire du monde.

Et prochainement, ne ratez pas la fin de la saga : Les Dents de la mare, épisode 7 : Le Gang des larves masquées...

samedi 7 août 2010

Les Dents de la mare, épisode 5 : De pinces et de rostres

Après cette entracte divertissante, la série évènement de Quelques images de la nature refait surface, et avec elle le bestiaire lovecraftien qui nous est cher.
Votre feuilleton de l'été se poursuit donc avec, dans cet épisode, non pas une, ni deux, mais bien trois bestioles inédites toutes plus effrayantes les unes que les autres.
Dans la lignée de la Notonecte de l'épisode précédent, voici une première nouvelle punaise aquatique vorace, également dangereuse pour le pêcheur ("Le rostre perce la peau humaine." nous précise le Guide de la vie des eaux douces de Malcolm Greenhalgh et Denys Ovenden ; je n'ai malheureusement pas eu l'honneur de me faire trouer la peau par cet insecte) : le Naucore (Ilyocoris cimicoides).


Portrait.

La première paire de pattes, terminée par deux crochets attrapeurs, est utilisée comme une pince par la punaise pour attraper ses proies (de petits invertébrés aquatiques). La ressemblance est d'ailleurs frappante avec les chélicères d'une araignée, qui ont le même usage. La troisième paire de pattes est frangée de poils et sert de nageoires, à l'image de celle d'un dytique.


Ventre de Naucore.

En admirant sa face ventrale, vous remarquerez que cette punaise utilise (en gros) la même astuce que la Notonecte et les coléoptères aquatiques pour emmagasiner de l'air en continuant à nager sous l'eau, à savoir se constituer une réserve en bulle du précieux mélange gazeux sous l'abdomen.
Si vous trouvez que la morphologie de cette punaise reste relativement banale, étonnez-vous à présent des formes monstrueuses de la suivante :


Une silhouette d'arachnide, mais il manque quelques pattes...

La Nèpe (Nepa cinerea) est en effet beaucoup plus originale : comme vous pouvez le constater, elle n'a pas volé son surnom de "scorpion d'eau". Les deux pattes avant évoquent une paire de pinces, tandis que l'étrange prolongement abdominal rappelle l'abdomen venimeux du célèbre chélicérate languedocien.
Heureusement, le "scorpion d'eau" est bien moins dangereux pour l'Homme que son homologue terrestre. A vrai dire, la Nèpe, si elle en a les moyens, perfore les doigts assez rarement. Elle est plutôt pacifiste sur ce point, aussi n'ai-je jamais eu à me plaindre de la moindre incision belliqueuse.



Deux nèpes en plein accouplement décident subitement de casser la croûte et harponnent une larve de dytique.

Mais sa tolérance envers les photographes n'empêche pas la voracité de reprendre le dessus au retour en immersion. En effet, si elle est plutôt sympathique à tenir en main, la Nèpe n'en est pas moins un féroce prédateur adepte du danonisme ("tu plantes et tu aspires"). La proie, parfois aussi grosse que la Nèpe elle-même, est d'abord attrapée par les deux pattes ravisseuses (du même modèle que celles du Naucore), puis amenée au rostre thanatophore, qui transperce la victime et aspire son contenu comme un Velouté Fruix.



Accouplement des mêmes nèpes.

Mais à quoi peut bien servir ce long appendice, au bout de l'abdomen ? Rassurez-vous, ce n'est pas une seringue géante mais un tuba, dont il suffit de faire émerger l'extrémité pour absorber de l'air avant de le stocker sous les élytres.
Si elle n'est pas dépourvue d'ailes, la Nèpe semble incapable de voler, contrairement aux coléoptères aquatique comme le Dytique. Heureusement pour elle, sa ressemblance avec une feuille décomposée (qui transparait moins bien sur fond de plastique blanc que sur fond vaseux) suffit souvent à la protéger d'éventuels prédateurs, mais pas de la sécheresse...
A présent, place au géant : la Ranâtre (Ranatra linearis), colosse subaquatique de 3 à 4 cm de long.



Son cet angle, on peut aussi penser à un gerris.

Son allure dégingandée s'éloigne encore plus de celle d'une punaise terrestre trapue que ne le faisait la Nèpe et son apparence de scorpion-feuille-morte. Ici, on penserait plutôt à un genre de phasme d'eau douce. Mais alors que son corps de brindille nous rappelle le placide herbivore camouflé, ses pattes avant agripeuses, équivalant maresque de celles de la Mante religieuse (cf. un excellent article à ce sujet), nous dévoilent sa vraie nature. Car, derrière son corps de végétal mu par des déplacements extrêmement lents, se cache, vous l'avez deviné, un redoutable carnassier mangeur de têtards.



La Ranâtre.

Appartenant à la même famille que la Nèpe, les Népidés (encore une fois, l'originalité est au rendez-vous), la Ranâtre s'alimente et respire donc de la même façon.
La lenteur excessive de ses mouvements met le pêcheur à l'abri des piqûres. Le seul véritable danger pour l'Homme est... l'accent circonflexe, à placer sur le deuxième a.

Prochainement sur le blog, ne ratez pas : Les Dents de la mare, Épisode 6 : Les Dholes...

vendredi 6 août 2010

Vous auriez pu trouver ...

Le suspens étant devenu insoutenable, et la participation presque négligeable (encore merci Mad de faire vivre les commentaires), je me suis décidé à vous révéler la vérité à propos des photos de l'article dernier. Il s'agissait d'eau, ce que tout le monde a du comprendre. Mais le plus intéressant, c'est ce que l'on ne voit pas. Et en l'occurrence, il s'agissait de ceci :

En voyant cette image, vous vous taperez la paume de la main à l'aide de votre autre main, en poing celle-ci, tout en tirant le langue.
Ce faisant, vous vous exclamerez :
"Saperlipopette, ainsi s'agissait-il de gerris, que leur pattes recouvertes de poils hydrofuges empêche de couler et crées de ce fait des dépression à la surface de l'eau."

Et effectivement, il s'agissait bien de cela.

Mais rassurez-vous, bientôt vous pourrez reprendre vos habitudes et lire en toute tranquillité les excellents articles que nous vous avons concocté durant ce petit intermède.

A bientôt, donc, pour de nouvelles aventures !