jeudi 1 juillet 2010

Les Dents de la mare, épisode 1 : Le Vampire

La petite mare du Massif de Lorris, parcelle 510, a l'air bien paisible en surface, en cette fin de printemps 2010. Alors que les grenouilles coassent, que les jeunes balbuzards piallent pour recevoir leur ration de poisson et que les bousiers bourdonnent gaiement de bouse en bouse, le vol ombrageux d'un circaète annonce déjà l'apparition surnaturelle à laquelle votre photographe va bientôt être confronté...
En effet, sous la surface de l'eau, une créature vicieuse l'observe...
Au premier coup d'épuisette, le jeune naturaliste, inconscient du danger, ne devine encore rien de la menace qui pèse sur lui, ni de la terrifiante perversion de la nature qu'il a ramené dans ses filets...
Il pose l'épuisette à terre, et fouille le contenu vaseux de sa main à la recherche de quelque prise glorieuse, allégorisée en têtard monstre ou triton bidécimétrique visqueux. Soudain, sa main heurte un corps dur. Il n'a pas la texture caoutchouteuse d'un amphibien mollement arraché à sa caverne aquatique boueuse. Non, c'est autre chose...
Une chose avec des pattes qui gigotent, un abdomen qui se tortille, et des mandibules qui... Aah !


A deux, c'est plus convivial

Vous l'avez deviné, l'odieuse créature qui boulotta avec si peu de courtoisie l'index de votre honorable serviteur n'est autre que Sa Gracieuse Monstruosité, Siroteur de têtards, Annihilateur en chef de la Jeunesse Batracienne, j'ai nommé : Dytiscus marginalis junior, la larve de Dytique.



La larve n'hésite pas à s'attaquer à plus gros qu'elle. Cette larve de salamandre apprit à ses dépens que courage et gloutonnerie font bon ménage au fond de la mare.

Une armure de chitine montée sur un châssis de cobra et deux crochets aigus comme des aiguilles lui confère un look de grosse crevette démoniaque. Mais cet insecte infernal vit avec un terrible paradoxe : il est dépourvu... de bouche. Ou plutôt, celle-ci est réduit à un imperceptible orifice incapable d'engloutir la moindre proie, ce qui renforce encore le supplice de ce terrible prédateur par nature, apparemment condamné à regarder passer les têtards sans pouvoir s'en emparer. Mais, c'était sans compter sur la cruelle ingéniosité de la Nature. L'évolution, tout en amincissant la bouche de la larve, la dota en contrepartie d'une arme si redoutable, si meurtrière qu'aucun superlatif ne saurait rendre l'effroi qu'elle provoque, à sa simple apparition, sur les malheureux têtards. Cette arme, c'est sa paire de crochets venimeux, instrument de mort et de torture sauvage et sans pitié.



Clac ! clac !

Quand la larve a repéré sa proie, elle se jette aussitôt sur elle en quelques coups de pattes poilues. Et c'est là que les crochets entrent en action : se sont en réalité des mandibules creux et percés à leur extrémité comme des seringues de tortionnaire nazi. Le têtard, percé de part en part par les crocs de son bourreau, est d'abord immobilisé par un premier venin, une puissante neurotoxine qui paralyse tous ses réflexes. Puis les perverses seringues inoculent un second poison, encore plus vicieux, des sucs digestifs foudroyants qui dissolvent les chairs du pauvre batracien de l'intérieur. Vous l'avez compris, la larve entreprend une véritable digestion externe. Une fois les organes réduits en une bouillie acidulée du plus cool effet gore, elle n'a plus qu'à aspirer les fluides de sa proie (un peu comme dans La Momie, mais en plus visqueux) et l'organisme larvaire peut enfin assimiler ce qu'une bouche trop étroite avait été inapte à recevoir.Quant au malheureux têtard, son enveloppe de peau est vite abandonnée au fond de l'eau, dégonflée comme une vessie creuvée, à la merci des charognards.



Portrait.

La larve de Dytique n'est pas le seul arthropode à donner la mort par vampirisation. Loin de là ! De nombreux autres insectes le font aussi, comme les Punaises carnivores (où les crochets venimeux sont remplacés par une espèce d'"appareil suceur"), et mêmes d'autres arthropodes, notament les Araignées. Loin d'être une "perversion de la nature", "un monstre horrible engendré par une évolution vicieuse", "une créature cruelle et diabolique qui torture ses proies", la larve du Dytique est en réalité un insecte comme les autres, qui mérite plus que jamais, à une époque où l'on préfère souvent combler les mares que les entretenir, d'être considéré à sa juste valeur : un petit bijou évolutif, sans lequel nos mares ne seraient pas ce qu'elles sont.

Et prochainement, ne ratez pas : Les Dents de la mare, Episode 2 : Des tigres en apnée...

1 commentaire:

Nicolas MOULIN a dit…

Sache que je suis comme toi un grand admirateur de la larve de dytique, mais je te conseillerai d'observer le nombre d'individus à l'état larvaire et adulte présent dans ta (ou tes) mare(s), vu le nombre de photos que tu à prise je suppose que cet agréable bestiole n'est pas toute seul dans sa mare. Car si le nombre de dytiques est trop grands dans ta mare, cela risque de la stérilisé (étant donné que les dytique n'ont pas l'appétit vite comblé, ils risqueraient de tout te bouloté puis de conquérir une nouvelle mare). Je te conseillerais donc de disséminer ces magnifiques insectes dans plusieurs mares si ils venaient à devenir trop nombreux. Sinon magnifique article sur l'une des terreurs des mares, tu peux aussi essayé avec un spécimen de lui éclairé la tête avec une lampe torche, tu verras tout ces canaux près à injecter de l'acide (sa tête est transparent). Les conseilles que je viens de te donner m'ont été aprit par la Hulotte, sinon je ne suis pas du tout spécialiste du sujet.