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samedi 31 mars 2012

La route de l'estran

Avant que l'île de Noirmoutier ne soit reliée au continent par un pont, il fallait, pour s'y rendre, attendre que la mer soit assez basse pour traverser l'estran à pied. Une course contre la marée, au coeur d'un territoire hostile infesté de crabes et semé de sables mouvants ! Pour faciliter le passage des véhicules, la voie la plus empruntée, le passage du Gois, fut à partir du XVIIIème siècle balisée, empierrée, pavée, et enfin goudronnée pour aboutir au tableau surréaliste que l'on peut admirer aujourd'hui : une départementale submersible de 4,2 km, traversant le bras de mer de part en part.


Le Gois à marée basse vu du haut d'une balise en bois, en direction de l'île de Noirmoutier.

Cette route de l'estran est la plus longue en son genre de France et même, selon le site officiel du Gois, de toute l'Europe. J'ai pu la traverser pendant les dernières vacances de février, un matin, à marée basse.


Sur l'île, au bord du Gois, ce lézard des murailles a choisi un drôle d'endroit pour thermoréguler : un tas d'algues pourrissantes.


Un visiteur inattendu...

Alors que la mer remonte, les grandes vasières de part et d'autre du Gois se couvrent de canards et de limicoles : bernaches cravants, tadornes de Belon, bécasseaux variables, barges à queue noire, courlis corlieux, tournepierres, pluviers argentés, huîtriers pies, grèbes castagneux, vite rejoints par un busard des roseaux en maraude. Parmi tous ces oiseaux je finis par apercevoir, comme perdu au milieu du troupeau d'échassiers, un petit animal rond et poilu qui se dandine nerveusement...


Le rat musqué pique un sprint au milieu des algues.

Manifestement, c'est un gros rongeur. Il s'approche de moi, assez près pour que je puisse le toucher, avant de se cacher sous une grosse pierre du bord du Gois. Mais j'ai eu le temps de l'identifier : c'était un rat musqué, reconnaissable à sa tête de rat plate et à sa queue comprimée latéralement, alors que le Ragondin a la queue ronde et une tête plus typée avec des moustaches blanches et des incisives orange. Curieuse apparition de la part d'un mammifère que l'on observe d'habitude en eau douce !


A la fin de la journée, la mer a entièrement recouvert le macadam, et le Gois nous gratifie de quelques dernières visions surréalistes comme ces panneaux à demi submergés. Pour rentrer, il va falloir prendre le pont.

vendredi 27 janvier 2012

Les Chroniques de l'estran, Episode 10 : Les Pinces de l'estran (2/2)


Crabe marbré mort de 5 cm d'envergure trouvé dans la laisse de mer

Plus petit que le Crabe vert, le Crabe marbré Pachygrapsus marmoratus est facilement reconnaissable à sa carapace carrée et à sa coloration originale : blanc intégralement recouvert de marbrures violettes voire rouges. Il est en revanche beaucoup moins facile à dénicher que le précédent ; typique de l'estran, ce crabe tout plat vit dans les rochers où sa mince épaisseur lui permet de se cacher dans les plus petites failles. Comme le Crabe vert, il se nourrit principalement de coquillages qu'il ouvre avec ses pinces.


Carapace d'araignée de mer de belle taille (15 cm de long) trouvée dans la laisse de mer

Un nain comparé à l'Araignée de mer Maja brachydactyla, dont la seule carapace hérissée de piquants peut atteindre jusqu'à 20 ou 25 cm de long selon les sources, avec des pattes de 45 cm de long !
Comme les "vrais" crabes, elle appartient au sous-ordre des Brachyoures, caractérisé par un abdomen replié sous la carapace et donc invisible depuis le dessus (contrairement à un homard ou une crevette, par exemple), et possède deux pinces avec lesquelles elle attrape et décortique sa nourriture : échinodermes, mollusques, autres crustacés, charognes, bref tout ce qui se ramasse au fond de la mer.


Carcasses d'araignées de mer échouées sur l'estran

Car celle-là non plus vous ne l'apercevrez pas sur l'estran, elle reste sous l'eau cachée dans les algues en permanence, si bien que les seules traces d'elle que la marée découvre sont ses restes désarticulés.
Ainsi ces chroniques de l'estran s'achèvent comme elles ont commencé : sur la vision d'un corps en putréfaction que n'aurait certainement pas reniée Baudelaire.

lundi 23 janvier 2012

Les Chroniques de l'estran, Episode 9 : Les Pinces de l'estran (1/2)

On trouve plusieurs espèces de crabes sur l'estran, dont la plus connue est sans doute l'énorme et barlong Tourteau qui peut atteindre les trente centimètres de large ; je ne l'ai malheureusement pas encore rencontré à Pénestin, aussi va-t-on devoir se contenter d'espèces moins imposantes, mais aux poignées de main tout aussi douloureuses !


Crabe vert d'environ 5 cm d'envergure

Le plus commun de tous  ces crustacés grouillants est le Crabe vert : Carcinus maenas. C'est un gros crabe vert, brun ou rouge, reconnaissable à sa carapace en forme de pentagone, ornée de chaque côté de cinq dents relativement obtuses derrière les yeux, et de trois dents distinctes au milieu.


Crabe vert sur un tapis de moules, au fond d'une flaque salée (7 ou 8 cm d'envergure)

Si les plus jeunes individus peuvent se rencontrer dans le sable, où ils sont capables de s'enfouir, les plus gros et les plus vieux fréquentent essentiellement les rochers dont les anfractuosités leur permettent de se dissimuler et où les cuvettes de marée basse leur offrent d'excellents terrains de chasse. Nous avons d'ailleurs pu admirer leurs exploits carnassiers dans l'épisode précédent.


Crabe vert... rouge, de taille respectable (plus de 12 cm d'envergure) observé sur l'île de Ré

Et voici la fameuse pince ! Il s'agit en réalité de l'articulation entre le dernier et l'avant-dernier segment de la première paire de pattes : le dernier segment, crénelé et particulièrement épais, vient ainsi se rabattre contre une excroissante de forme similaire prolongeant l'avant-dernier segment. On obtient un outil bien commode pour pincer les baigneurs imprudents, mais surtout assez puissant pour arracher les patelles de leur substrat, et donc idéal pour ce gros dévoreur de coquillages qu'est le Crabe vert.

 

Crabe vert apeuré (plus de 12 cm d'envergure) observé sur l'île d'Oléron

Le Crabe vert est aussi appelé Crabe enragé en raison de son comportement défensif qui consiste, lorsqu'il n'a plus aucune crevasse où se réfugier, à faire front en écartant les pattes et en ouvrant en grand les pinces - exactement comme un lucane avec ses mandibules.
Comme bien d'autres, le Crabe vert a sa variante méditerranéenne : Carcinus aestuarii, à peu près identique. Ces deux espèces sont invasives sur les côtes du monde entier, où elles ont été introduites accidentellement : Etats-Unis est et ouest, Afrique de l'ouest et Australie pour la première, Mer Rouge et Japon pour la seconde.


Ci-dessus : reconstitution d'une étrille d'après un cadavre rejeté par la marée.
Ci-contre : détail de la dernière paire de pattes dudit cadavre.

Appartenant à la même famille que le Crabe vert, les Portunidés, l'Etrille (Polybius puber) s'en distingue par des contours plus acérés, des couleurs plus vives, des pinces plus aigües et une dernière paire de pattes très applatie qu'elle utilise pour la nage. En effet, vous ne rencontrerez pas ce crabe vivant sur l'estran, au mieux des spécimens morts au milieu des laisses de mer, mais dans les eaux côtières peu profondes, si vous faites de la plongée.

samedi 31 décembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 8 : Marée basse dans les rochers (3/3)

Vu les merveilles que l'ont vient d'observer dans les flaques de l'estran rocheux depuis la surface, on peut se demander quelles surprises nous réservent ses abysses. Pour le savoir, enfilons nos scaphandres et descendons au fond de la cuvette...


Crabe vert raclant une patelle

Bienvenue dans le royaume du Crabe vert ! Carcinus maenas règne en maître au fond de son cloaque putride, il dévore tout ce qui passe à sa portée ! La grosse Patelle peut bien se cramponner à son rocher, rien ne résiste à la pince du monstre caparaçonné...


Il y en a toujours un pour manger l'autre...

... pas même ses propres congénères !


Dorris verrucosa

Heureusement que la belle Doris verrucosa est là pour apporter un peu de poésie à ce monde de brutes...
Cette limace de mer de 5 à 7 cm de long se nourrit d'éponges ; elle arbore à son extrémité postérieure un magnifique panache de tentacules sur lesquels sont disposés les branchies.
Tous les individus que j'ai observés à Pénestin étaient jaune d'or voire orange, mais il en existe aussi de plus ternes : blancs, gris, parfois avec des bandes latérales sombres.


Doris au fond d'une grotte, à marée basse

La Doris verruqueuse craint la déshydratation. Sitôt émergée, elle court se réfugier dans une anfractuosité sombre et humide d'où elle ne sortira pas avant le retour de la mer.


Gobie varié (Pomatoschistus pictus)

Pour finir, voici le poisson typique des flaques de l'estran : le Gobie. Une poignée d'espèces assez ressemblantes peuvent se retrouver dans les cuvettes. Ici, je penche pour un gobie varié (Pomatoschistus pictus).

La semaine prochaine, ne manquez pas le dernier épisode des Chroniques de l'estran : Les Pinces de l'estran...

lundi 26 décembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 7 : Marée basse dans les rochers (2/3)

Le relief de l'estran rocheux a de quoi donner du fil à retordre aux sandales les mieux attachées. C'est un véritable continent en miniature, avec ses pics, ses cols, ses plateaux, ses gorges et même ses lacs, des cuvettes taillées par l'érosion que la mer vient remplir à marée haute et qui, à marée basse, constituent autant d'aquariums naturels où les explorateurs les plus courageux pourront voir évoluer les monstres marins qui s'y sont laissés piéger.


Cuvette sur la plage de Loscolo

Ces mares salées abritent en effet un grand nombre de gastéropodes, bivalves, poissons et crustacés divers, mais aussi quelques organismes dont l'anatomie nous est moins familière, telles les fameuses anémones de mer...


"Tomate de mer", tous tentacules dehors !

On en rencontre plusieurs espèces dans les flaques salées ; la plus commune de toutes est Actinia equina. Elle se présente sous la forme d'un polype, dont la couleur varie du brun au rouge vif, fixé par un pied cylindrique de 5 cm de diamètre, avec une petite bouche-anus au sommet, ornée d'une couronne de 200 tentacules urticants (indolores pour l'Homme) qui y rabattent les crustacés et les petits poissons dont elle se nourrit, avant d'en rejeter les restes par le même orifice.
Typique de l'estran, le gluant animal se complaît dans ce milieu changeant, capable de rétracter à volonté ses tentacules pour les préserver de la dessiccation lorsqu'elle se retrouve émergée, à marée basse. Elle prend alors l'aspect d'un gros bubon rougeâtre posé sur les rochers, d'où son surnom, très inspiré, de "tomate de mer" ou "anémone tomate".


Anémone de mer verte

Contrairement à la "tomate de mer", l'Anémone de mer verte (Anemonia viridis) est incapable de rétracter ses tentacules ; les cuvettes d'eau sont donc bien les seuls endroits où l'on peut en observer sur l'estran. C'est fort dommage, car c'est de loin la plus belle de toutes les anémones de mer, avec sa longue chevelure verte aux pointes violettes !
Les anémones de mer appartiennent à l'embranchement des Cnidaires, comme les méduses et les coraux, mais en cherchant bien, on peut dénicher dans ces flaques des animaux à l'ascendance encore plus étonnante...


Ascidies japonaises trouvées au fond d'une cuvette

... comme l'ascidie Styela clava, l'Ascidie japonaise (ou Ascidie plissée).
Je ne saurais mieux vous décrire cet animal qu'en le comparant à une sorte de "coeur" pompant, recrachant, brassant de l'eau de mer pour en extraire dioxygène et nutriments. Une "poche" vivante trouée de deux syphons, enveloppée dans une "tunique" de cellulose (!) qui a donné son nom au sous-embranchement des Tuniciers auquel appartiennent les Ascidies, dont la biologie est si bizarre que je ne me riquerais pas à en faire un compte-rendu, lequel serait trop bref, trop imparfait, trop inexact pour en apprécier la complexité. Consultez plutôt les cours en ligne de Mer et littoral à ce sujet, qui sont très bien faits.
On peut en revanche signaler que ces animaux nous semblent d'autant plus étranges que l'étude de leurs larves les range dans l'embranchement des Cordés, aux même titre que les Vertébrés !
On rencontre de nombreuses espèces d'ascidies, solitaires ou en colonies, au large de nos côtes. Comme son nom l'indique, l'Ascidie japonaise est cependant originaire de l'est du Pacifique et aurait été introduite accidentellement dans les années 1950 par des bâtiments de guerre occidentaux de retour de Corée, sur la coque desquels elle a dû se fixer.


Portrait de crevette

Plus familières, les crevettes du genre Palaemon sont très communes dans les flaques, si bien qu'il est difficile d'y jeter un coup d'épuisette sans en ramasser une pleine poignée ! On en distingue une demi-douzaine d'espèces, qui se ressemblent toutes. Ici, je ne sais pas trop de laquelle il s'agit... y a-t-il un expert dans la salle ?

A la semaine prochaine pour de nouvelles chroniques de l'estran !

samedi 3 décembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 6 : Marée basse dans les rochers (1/3)

Après avoir goûté aux charmes morbides des laisses de mer, intéressons-nous à l'estran rocheux.
Aux yeux des estivants les plus douillets, l'endroit apparaît pour le moins inhospitalier, comme un désert de pierre tapissé d'huîtres coupantes et d'algues glissantes. Il n'en est pas moins grouillant de vie. Mais pas de vie telle qu'on la connaît à l'intérieur des terres : non, je vous parle d'une vie horrible, gluante, tentaculaire, une vie telle que l'on n'en rencontre qu'au fond des mers, et que l'estran ne daigne révéler qu'à marée basse. Alors, profitons du recul des eaux pour explorer ce territoire étrange et incroyable, et découvrir les bêtes immondes qui hantent ses abîmes...


L'estran rocheux de la plage de Loscolo

Ces dernières sont bien malmenées par le flux et le reflux de l'Atlantique ; quotidiennement noyées par l'océan, séchées par le soleil et salées par les embruns, elles n'ont souvent le choix qu'entre se cramponner vigoureusement aux rochers ou se cacher au fond d'une crevasse humide. A ce jeu, les coquillages sont sans doute les plus forts : patelles, pholades, moules, littorines, troques, bigorneaux et crépidules pullulent aussi bien sur que dans la roche. Cependant, quelques photos ne suffiraient pas à donner un aperçu satisfaisant de leur prolifération ostentatoire, aussi va-t-on se contenter, pour cette fois, d'animaux plus discrets et plus originaux.


Ligia oceanica en maraude (2-3 cm). En Méditerranée, cette espèce est remplacée par Ligia italica, très semblable.

Commençons par la zone la plus haute de l'estran, celle qui n'est submergée qu'à l'occasion des grandes marées. C'est le domaine de la petite Ligie (Ligia oceanica). Elle passe y passe le plus clair de son temps abritée dans les fentes rocailleuses pour éviter la déshydratation, mais sort de sa cachette à marée basse pour arpenter l'estran en quête de nourriture - animaux et végétaux en décomposition. Si l'on excepte les longs uropodes qui prolongent l'arrière de son corps, on la prendrait volontiers pour un cloporte ; et pour cause, elle appartient comme eux à l'ordre des Isopodes, petits crustacés aplatis à sept paires de pattes et aux yeux sessiles (sans pédoncules).


Les colonies de balanes qui recouvrent l'estran rocheux finissent par former une sorte de revêtement antidérapant naturel.

Mais laissons les ligies tranquilles et descendons quelques mètres plus bas : on constate que les rochers se couvrent aussitôt de colonies entières de balanes. De loin, leur forme conique évoque celle de petites patelles. Il n'en est rien : ce sont des crustacés appartenant à la sous-classe des Cirripèdes, qui vivent fixés sur à la roche et ne s'entrouvrent qu'à marée haute, quand les vagues viennent lécher leurs minuscules carapaces, pour filtrer l'eau ruisselante et en extraire le plancton dont ils se nourrissent. Il en existe de nombreuses espèces ; celles observables sur l'estran, dont la taille varie entre 5 mm et 2 cm, se répartissent principalement entre les genres Balanus et Chthamalus. Plus petites, les balanes du genre Amphibalanus se fixent également sur les coquillages, mais il faut être un expert pour arriver à toutes les différencier !


Anatife (5 cm) accroché à une caisse en bois

Mais au fait, pourquoi Cirripède ? Le mot vient bien sûr du latin : cirrus signifiant "mèche de cheveux" et pes, pedis "pied". Un pied à mèche ? L'étymologie prend tout son sens lorsque l'on regarde un cousin des balanes, l'Anatife (Lepas anatifera), un cirripède qui se fixe, non pas aux rochers, mais aux débris flottants : on voit alors effectivement un pied, le pédoncule (dont les balanes sont effectivement dépourvues), fixé au support, armé de plaques qui laissent dépasser des appendices en forme de mèche appelés cirres : ce sont d'anciennes pattes modifiées et couvertes de soies qui filtrent l'eau.


Alvéoles d'hermelles

Un autre filtreur vit encore plus bas : l'Hermelle (Sabellaria alveolata). On détecte facilement la présence de ce minuscule ver de quelques centimètres de long aux structures en nid d'abeilles que produisent ses colonies : des récifs constitués de tubes de grains de sables agglutinés pouvant atteindre 30 cm de haut. Les hermelles vivent dans les alvéoles de ces récifs ; elles se cachent au fond à marée basse et font dépasser le haut de leur corps, armé de tentacules, à marée haute pour capturer le plancton dont elles se nourrissent.
A Pénestin, ces récifs sont souvent abîmés par les ramasseurs d'huîtres si bien que leur taille n'est jamais très imposante. Néanmoins, il en existe de vraiment colossaux à la Baie du Mont Saint Michel où ils sont protégés. On peut en voir des photos sur le site de DORIS.

A suivre...

jeudi 24 novembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 5 : Seiche

Mais nous n'avons pas encore parlé de l'objet le plus fameux de la laisse de mer : l'os de seiche.


Le plus gros os de seiche que j'ai jamais trouvé : 24 cm de long. Qui dit mieux ?

De forme oblongue et de couleur blanche, sa taille varie entre 1 et une trentaine de centimètres de long. Bien qu'on l'appelle "os", c'est en réalité tout ce qui reste d'une coquille ancestrale comparable à celle du Nautile.
Quoi qu'il en soit, il constitue une source de calcium abondante et facile à se procurer pour les oiseaux de mer... et de volière !


Seiche échouée (taille : 20 cm)

Beaucoup plus intéressante que l'os, la seiche elle-même est en revanche moins facile à trouver sur l'estran, généralement mise en pièces par les goélands aussitôt échouée.
Ce jour-là, j'ai eu la chance de tomber sur un spécimen complet et relativement préservé de la décomposition. On le range tout de suite dans la classe des Céphalopodes, avec son corps mou structuré par le fameux "os" et sa grosse tête aux yeux globuleux munie de dix bras armés de ventouses : huit courts et deux longs, terminés par des massues, rétractés en permanence, qui ne se déploient brusquement que pour attraper une proie, à la manière du masque d'une libellule.


Bouche de seiche

Les tentacules d'attaque ramènent alors la victime à la bouche du monstre. Entourée par les tentacules, elle abrite deux mâchoires cornées en forme de bec de perroquet, suivies de près par la radula, attribut plus classique des gastéropodes de nos jardins et de nos trottoirs.
Son nom latin, Sepia officinalis, a donné en français la couleur sépia, dont les tons marrons rappellent ceux de l'encre de seiche dilué, composé de mélanine (molécule qui nous est familière puisqu'il s'agit du pigment de notre peau). 


Deux systèmes de locomotion innovants !

Lorsqu'elle ne se déplace pas par ondulations de la frange qui borde son "os", la Seiche peut se mouvoir à l'aide de son système de propulsion à réaction : l'eau stockée dans une poche appelée cavité palléale est brutalement évacuée, par contraction musculaire, par l'entonnoir situé à l'avant de l'animal, la projetant ainsi à reculons. Ajoutons à cela que ce sous-marin de poche peut changer de couleur pour se dissimuler ou communiquer avec ses pairs, et vous admettrez qu'il n'a décidément rien à envier à nos bathyscaphes les plus sophistiqués ! Hormis peut-être la profondeur...


"Wheke", le calmar géant du MNHN

Car si son os n'était pas si fragile et pouvait supporter des pressions excédant celles que l'on rencontre à 150 mètres de profondeur, la petite Seiche serait sans doute surprise de rencontrer son lointain cousin le Calmar géant (Architeuthis sp.), un céphalopode pouvant atteindre une quinzaine de mètres de long et qui ne ferait d'elle qu'une becquée !
Encore relativement méconnu en raison de son habitat quasi-inexplorable, on peut cependant en admirer un splendide spécimen plastiné de 7,5 mètres au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, pêché au large de la Nouvelle-Zélande. La capture ou l'échouage de ces super-mollusques fait régulièrement la une des journaux depuis la seconde moitié du XIXème siècle, avec l'essor de la chasse à la baleine. Alors... à quand une carcasse pourrissante de calmar géant sur l'estran de Pénestin ?

vendredi 18 novembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 4 : Les épaves-surprises

Algues, restes d'animaux et déchets artificiels constituent la majeure partie de la laisse de mer. Mais il arrive que la marée rapporte quelques carcasses plus conséquentes, des épaves-surprises si grosses qu'elles sont visibles du haut de la falaise, et pourtant si mystérieuses qu'on est incapable de leur donner un nom avant d'être assez près pour planter une lame de couteau dedans. Mais il faut faire vite : les charognards rôdent...


Congre échoué (vu depuis la falaise)

Ici, c'est un goéland marin qui s'apprête à charcuter un superbe congre échoué. Ce gros poisson serpentiforme est particulièrement bien représenté sur l'estran de Pénestin. En voici quelques-uns, à différents stades de décomposition :


Congre frais (taille : 1,2 mètre)


Congre séché (taille : 1,2 mètre)


 Squelette de congre (taille : 1 mètre)


Portrait de congre frais

Mais cette année, la véritable surprise venait d'une épave encore plus imposante, sans doute la plus grosse de toute l'histoire de Pénestin, visible depuis la falaise dans l'article précédent :


Le dauphin de Pénestin (approximativement 1,5 mètre)

Un dauphin ! Bien mal en point, il est vrai : l'aileron et la queue ont été complètement rongés par les poissons et les goélands marins ont ouvert le ventre et les flancs à coups de bec. J'ai pu approcher le cadavre tôt dans la matinée ; quelques heures plus tard il avait disparu, emmené loin de la plage qu'il empestait par un tracteur. C'est regrettable : les oiseaux ont perdu un bon repas et moi un squelette de cétacé !



J'ai appris par la suite qu'un jeune grand dauphin (Tursiops truncatus) s'était déjà échoué à deux reprises à Pénestin en juin et avait été remis à l'eau par les pompiers. L'évènement fut relayé sur le site de Réseau-Cétacés (consulter l'article de Réseau-Cétacés). Ma charogne n'étant pas très grande et assez vieille, j'en conclu qu'il s'agit du même individu, mort en mer affaibli par ses échouages successifs.

A la semaine prochaine pour de nouvelles chroniques de l'estran !

samedi 12 novembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 3 : Laisses de mer (2/2)

On pourrait penser qu'admirer les laisses de mer, c'est aussi agréable que de ramasser des champignons. Pourtant, sur l'estran, pas question d'errer dans la pénombre d'un sous-bois humide et corrompu. Sur l'estran, c'est le nez dans les embruns et les cheveux au vent qu'on fouille le sable et les algues aux arômes iodés, préalablement déchaussé pour apprécier le contact de la vase voluptueuse - au risque de s'ouvrir le pied sur une coquille d'huître inopportune. Les sandales à la main et l'appareil photo autour du cou, poursuivons ainsi notre exploration des laisses de mer.


A gauche : oeufs de raie (Raja undulata ?)
A droite : oeuf de petite roussette

On peut tomber sur plusieurs sortes de capsules rectangulaires. Ce sont des oeufs de poissons cartilagineux.
Certaines sont noires, larges, cornues et mesurent de 5 à 15 cm : elles peuvent appartenir à huit espèces de raies et font l'objet d'un suivi par l'Association Pour l'Etude et la Conservation des Sélaciens (APECS) : le programme CapOeRa. Une plaquette d'identification est téléchargeable ici, sur le site de l'APECS.
Attention à ne pas les confondre avec cette autre capsule : plus petite (6 cm), allongée et de couleur jaunâtre, c'est l'oeuf de la Petite Roussette (Scyliorhinus canicula).


Petite Roussette

Ce petit requin de 80 cm vit sur les fonds sableux où sa robe beige tachetée de noir lui permet de se dissimuler pour mieux surprendre ses proies (mollusques et crustacés). On l'appelle aussi "chat de mer", sans doute à cause de ses grands yeux ovales et noirs.
On peut également trouver des oeufs de Grande Roussette (Scyliorhinus stellaris), une espèce proche mais deux fois plus grande (1,5 mètre) et dont les capsules, bien que très ressemblantes, atteignent 10 cm de long.


Laminaire à bulbe

Certaines algues brunes, vivant généralement au delà de l'estran, se démarquent des autres une fois échouées par leurs formes inhabituelles et leur taille impressionnante. Ces Laminaires sont constituées de trois parties : un crampon qui les maintient fixées aux rocher, le stipe, une "tige" dure comme du cuir, et enfin la fronde.
La plus grande est la Laminaire à bulbe (Saccorhiza polyschides) : son crampon est surmonté d'un "bulbe" imposant, granuleux et informe, son stipe est aplati et orné d'ondulations appelées falbalas et sa fronde découpée en forme de lanières. Le tout peut atteindre plusieurs mètres de long.


Baudrier de Neptune

Voilà une autre laminaire : la Laminaire sucrée (Saccharina latissima) ou Baudrier de Neptune. Plus gracile que la précédente, elle se reconnaît à sa fronde en forme de ceinture ondulée et texturée en forme de queue de crocodile. Le stipe est rond et les crampons n'ont pas de bulbe.


L'épave mystérieuse...

Mais l'océan a encore mieux à offrir que des oeufs de requin et des algues difformes : au pied de la falaise, les vagues ont déposé une bien curieuse épave, rapidement abordée par une bande de goélands marins affamés. Qu'est-ce ?

Réponse dans le prochain épisode !

samedi 5 novembre 2011

Les Chroniques de l'estran, Episode 2 : Laisses de mer (1/2)

Au fur et à mesure que la marée baisse, l'estran se couvre d'amas d'algues, de plumes de mouettes et de bois flotté rejetés par les flots. Mais au milieu de la puanteur et des mouches, on trouve quelques déchets plus intéressants qui font de la plage une véritable vitrine de la faune et de la flore sous-marines.


Plage jonchée de laisses de mer

Toutes ces ordures sont appelées "laisses de mer". A peine échouées, elles sont assaillies par des légions de décomposeurs divers et variés (diptères, coléoptères voire crabes audacieux) auxquels le naturaliste devra disputer sa trouvaille s'il compte l'examiner de près, activité recommandable qui vous permettra de vous familiariser avec les laisses de mer les plus courantes que je vais maintenant vous présenter.


Rhizostoma octopus échouée sur le "dos"

Pour inaugurer ce festival de monstruosité, voici la méduse la plus commune de Bretagne : Rhizostoma octopus. Pouvant atteindre un mètre de diamètre, elle est heureusement inoffensive pour l'Homme puisqu'elle ne mange que du plancton et ne possède pas de tentacules venimeux à proprement parler, mais seulement huit bras qui lui ont valu son nom scientifique (octopus => "huit pieds"). Ces derniers entourent la bouche placée sous l'ombrelle, énorme, qui renferme le système digestif et les organes génitaux.


Rhizostoma octopus échouée dans le bon sens. En Méditerranée, elle est remplacée par une espèce à peu près identique : Rhizostoma pulmo.

Sur son pourtour, celle-ci est dentelée et ornée d'un joli petit liseré bleu, tentative dérisoire de faire oublier l'odeur abjecte qui se dégage du cadavre, lequel semble d'ailleurs si immonde qu'aucun charognard ne se risque à le consommer. Heureusement, les rayons ardents du soleil breton auront tôt fait de faire fondre cette abomination, qui s'en retournera à la mer sous forme de coulée laiteuse dégoulinant le long de la plage.


Ponte de buccin

Moins impressionnante mais plus énigmatique, voilà une laisse de mer courante surnommée "raisin de mer" ou encore "savonnette de mer". Cet amas ressemblant à un bloc de polystyrène altéré par l'eau de mer, qui peut atteindre la taille d'un ballon de foot, est en réalité composé de centaines d'oeufs de buccin (Buccinum undatum), un gros gastéropode carnivore.

Buccin (6 cm de haut)

Eponges dessécuées et tests d'oursin (Psammechinus miliaris)

On peut aussi ramasser quelques spécimens plus discrets, comme ces petites éponges silicieuses (une identification assez hasardeuse me fait pencher pour le genre Haliclona), animaux rudimentaires qui s'alimentent en filtrant l'eau à travers les pores de leur corps. Aucun véritable organe ; des cellules flagellées appelées choanocytes tapissent les parois internes de l'organisme et assurent la circulation de l'eau.
Ou encore ces trois tests d'oursin : c'est ainsi que l'on appelle le squelette externe de ces charmants échinodermes épineux une fois vidé de son hôte.

A suivre...