mercredi 20 juillet 2011

Orvet

Lisse, lent et luisant, dépassant rarement les 50 cm, il vous est peut-être déjà arrivé de croiser ce timide reptile brun et vermiforme au cours d'une balade en forêt : plutôt discret, il se montre à découvert lorsqu'il essaye péniblement de traverser le chemin caillouteux et disparaît dès qu'il a retrouvé la fraîcheur et la volupté de l'humus.


Orvet femelle. NB : la femelle se reconnaît à sa coloration contrastée (dos clair et flancs foncés), alors que le mâle est uniformément brun, parfois avec de petites taches bleues (Chanteau, Loiret)

Malgré les apparences, l'Orvet n'est pas un serpent mais un lézard sans pattes (non, ce n'est pas la même chose !). Pour s'en assurer, il suffit de retourner la bête : force est de constater qu'elle possède plusieurs rangées d'écailles ventrales comme tous les lézards, alors que les serpents n'en ont qu'une. Un examen à la loupe révélera également la présence de paupières mobiles, dont sont dépourvus les vrais serpents. Autre différence : comme chez les lézards et contrairement à la plupart des serpents, mâles et femelles n'ont pas les mêmes couleurs (voir photo ci-dessus).
Relativement rigide, l'Orvet se brise facilement en deux lorsqu'il est malmené par un prédateur (chat ou autre petit carnivore). Comme les autres lézards, sa queue, qui représente plus de la moitié de sa longueur totale, peut se casser lors de l'attaque pour lui permettre de fuir (autoamputation ou autotomie). Cependant elle ne repoussera pas entièrement mais sera juste remplacée par un court moignon. Cette fragilité bien connue des paysans lui a valu son ancien nom trompeur de "serpent de verre" ainsi que son nom latin : Anguis fragilis, le "serpent fragile".


La même femelle (Chanteau, Loiret)

En raison de sa lenteur, l'Orvet ne peut guère surprendre ou poursuivre des proies trop rapides comme des insectes. Il se contente donc d'arpenter le sous-bois forestier (ou quelques fois les potagers) en quête de vers, de limaces ou de cloportes.
L'accouplement a lieu entre début mai et fin juin. D'après La Vie secrète de la Nature en France, volume 1, éditions Atlas, ce dernier pourrait durer plus de vingt heures (bien que Le Guide herpéto de Delachaux et Niestlé indique, lui, une durée n'excédant pas dix heures). Quoi qu'il en soit, la ponte s'effectue trois mois plus tard. Les Orvets sont ovovivipares, c'est-à-dire que l'oeuf, qui consiste en une simple membrane, éclot dès qu'il est pondu. S'ils ont de la chance, les petits orvets pourront espérer vivre très vieux pour des lézards : le record de longévité est en effet détenu par un spécimen du zoo de Copenhague qui vécut 54 ans, de 1892 à 1946. Détail amusant, même après leur mort les orvets gardent quelques temps le même aspect : leurs écailles sont en effet composées d'une partie osseuse - l'ostéoderme - qui met plus de temps à se décomposer et continue donc à recouvrir le squelette comme une peau.


Jeune orvet reconnaissable à son dos doré traversé par une ligne noire (Ingrannes, Loiret)

A part Anguis fragilis, on trouve deux autres espèces d'orvets en Europe, toutes deux en Grèce : l'Orvet du Péloponnèse (Anguis cephalollonicus), très semblable au précédent, et le Sheltopusik (Pseudopus apodus, anciennement Ophiosaurus apodus), un monstre de 1,40 capable d'avaler un petit serpent !
Mais les Orvets ne sont pas les seuls lézards sans pattes : les Amphisbènes (d'ailleurs parfois considérés comme un groupe à part parmi les Squamates), reptiles fouisseurs du Nouveau Monde et du sud de l'Europe, et certains seps, petits lézards méditerranéens, ont eux aussi perdu leurs membres au cours de leur évolution. Ce phénomène se retrouve chez les Amphibiens avec les Gymnophiones, ordre tropical totalement dépourvu de pattes, les Sirènes, famille d'urodèles nord-américaine qui conserve seulement ses membres antérieurs, et les Amphiumes, autre famille d'urodèles originaires de Floride aux quatre membres atrophiés. Comme vous pouvez le constater, les Serpents sont donc loin d'être les seuls tétrapodes... apodes.

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